A propos

D’abord intitulée « Aujourd’hui je n’ai rien fait », la série de dessins de Loïc Le Pivert est née du désœuvrement, un 1er mai pour l’exactitude, à un moment où le monde du travail renvoyait au jeune artiste une image d’incapacité sociale. Rebaptisée « La pratique de la procrastination », cette série se déploie depuis 2006 dans une discrétion absolue, en retrait du monde de l’art, à raison d’un dessin par jour et de quelques jours chômés. Tracés au crayon sur du papier machine ces dessins poussent ironiquement le principe d’économie jusqu’à tenir dans un simple classeur métallique de bureautique, rejouant de la sorte le principe de disparition d’un certain Fernando Pessoa. Au total, plus de 700 dessins réalisés à partir de photographies prises par l’artiste au gré de ses déplacements et de son ennui, prises par des amis aussi, mettent en scène la difficulté du passage à l’acte et l’imperméabilité du quotidien. Le réel y est souvent perçu en vue subjective comme un élément intrusif, une sorte de décor de jeu vidéo à échelle humaine, hostile et aberrant, dans lequel l’artiste essaie de se mouvoir en ciblant les victimes et en évitant les pièges. On le retrouve en antihéros dans son environnement immédiat public et privé qui distille une vision du monde caustique et à large spectre dans laquelle on se projette irrésistiblement. Ces dessins qui ne sont pas nés pour être regardés en tant qu’objets sont régulièrement mis en ligne sur un blog anonyme qui n’est pas réellement fait pour être vu mais plus pour être trouvé au hasard de la navigation. Suspendus dans cet espace d’invisibilité, ils sont indissociables de titres en forme de commentaires qui ciblent des jeux sémantiques de l’image. Dans ce feuilleton à épisodes, sorte d’On Kawara impur, on retrouve des sous-ensembles de dessins qui rendent familiers les personnages qui les peuplent à travers toute une série de métaphores qui vont du jeu vidéo aux comics et où il apparaît clairement, pour reprendre les termes de l’artiste, que « la cape de Batman est plus lourde à porter que le collant de Spiderman » quoi que…

Catherine Macchi

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La Pratique de la procrastination

Il est 23:55 sur horloge de l’Apocalypse de Chicago…
Un jour je serai artiste mais, que voulez vous, j’ai toujours pris soin de remettre à demain ce jour là…
En Art, tout comme dans les shoot them up, trouver la bonne trajectoire, les bons gestes et tout le reste cela prend du temps, d’autant plus que même si ce domaine reste encore un exercice de représentation, je reste convaincu qu’il ne faut pas pour autant tirer à blanc comme dans les call of duty…
Cette suite de dessins, initialement intitulée « Aujourd’hui je n’ai rien fait », a été initiée en mai 2006. À l’époque à la recherche d’un emploi sans grand succès, j’avais enfin trouvé un emploi du temps faute de mieux. C’est une série en cours et, si j’avais été auteur de comics books, j’aurais pu la qualifier d’on going, mais comme je n’en suis pas un…
« Aujourd’hui je n’ai rien fait » est segmentable en plusieurs sous-ensembles aux desseins bien distincts, mais j’ai pris le parti de renommer cette production « La Pratique de la procrastination », car socialement la mélancolie est mieux tolérée et puis avoir une pratique à revendiquer c’est toujours ça de pris…
L’ensemble comporte essentiellement des scènes d’une banalité consternante, des micro-catastrophes domestiques sur lesquelles je ne m’attarderai pas, il y a sans doute quelque chose de l’ordre d’un story board qui pourrait provenir d’une sorte d’inaction movie qui, bien que renvoyant fréquemment à la S.F, aux jeux vidéo, ainsi qu’à de larges pans de la culture pop, qui échapperait malgré tout à toutes tentations spectaculaires de par le traitement du dessin voulu plus factuel que stylisé. Je n’ai aucun goût pour le design et je ne suis guère graphiste…
Il faut surtout voir dans tout cet understatement une forme de politesse coldwave, une pastille caustique rouge qui se présente comme une suite de vue subjectives réalisées au crayon gris associées à un texte avec lequel elles entretiennent un rapport plus ou moins trouble.
Demain j’aurais pu vous dire : « Ainsi cette série d’images qui doit tout aux F.P.S se révèle donc plus comme une sorte de piège où le point de vue de l’artiste disputerait l’autorité de celui du regardeur rendant une lecture de type WYSIWYG plus que hasardeuse, la partie autobiographique étant au second plan. »
Mais pour aujourd’hui : Il va de soit que cette pratique du dessin est quotidienne autant que possible, je la considère comme une sorte d’activité de remise en forme, et d’une certaine façon comme le making off d’une production repoussée sine die, comme si il fallait pour être l’artiste de demain se garder d’en être un aujourd’hui…(en plus de sortir de la clandestinité.)

Il est désormais 23:54 …

LLP.